Les trois sœurs, d’Anton Tchékhov, mes Julie Brochen,

Au théâtre de l’Epée de bois.

Julie Brochen cherche à nous surprendre. Dès l’arrivée dans la salle, on découvre un
dispositif orthofrontal, trois rangées de chaises partageant le plateau (pourtant peu étendu)
en deux. Le jeu se déroulera dans cet espace exigu, sur la diagonale entre l’ouverture du
fond et la porte d’entrée de la salle côté cour, restée ouverte pendant toute la
représentation (provoquant un courant d’air permanent parmi les spectateurs).
Sur des tapis, Irina, en costumes actuels, est allongée par terre et manipule une tablette
(sans vraiment l’utiliser, ni pour jouer, ni pour une recherche). On pense donc que la pièce
sera réactualisée, projetée dans notre ère numérique. Ah non ! La tablette disparait, ne sera
jamais évoquée, et le jean contemporain que portait Irina n’évoquera jamais une époque
actuelle. Bon.
Comme Tchékhov est russe, et que la Russie actuelle n’est pas en odeur de sainteté, Ariane
Mnouchkine vient nous débiter via une projection vidéo (où l’on voit surtout le public) un de
ces discours fumeux dont elle a le secret. Elle reviendra à la fin de la pièce de la même façon,
encore plus confuse, pour nous prouver qu’au théâtre, l’ennui n’est jamais saturé.
Le texte, on le sait, est très bavard et développe peu d’action. Les trois sœurs vivent dans
l’attente d’une vie qui changerait – elle ne savent pas très bien comment – et dans un ennui
permanent qui ronge leur vie sentimentale (les couples vivent des relations lamentables).
Elles s’en accommoderaient si leur belle-sœur aussi stupide que despote ne leur
empoisonnait la vie, sans qu’elles fassent quoi que ce soit pour la neutraliser.
Un tel texte, architecturé autour des sentiments et des relations humaines demande une
solide construction des personnages. Malheureusement, ce n’est pas le cas. Si Claude-
Bernard Pérot (Tcheboutykine), Eva De Jesus Flecho (Irina), Benoît Riquensen (Kouluigyne)
sont très convaincants, le reste de la distribution présente des personnages flous, dont le
comportement n’éclaire pas leur existence profonde. Le texte est pourtant très fort sur le
désarroi des personnages, mais il ne suffit pas que Macha chausse des chaussons et fasse
quelques pointes pour signifier le vide de son âme. Quelques bonnes idées cependant :
Pendant l’incendie, les hommes sont en maillot de corps et couverts de suie, et l’on
comprend qu’ils sont très actifs et solidaires. Mais souvent, les « bonnes idées » viennent à
contresens. Et pourquoi ces chansons d’Arno au cours de la pièce, qui nous parle de
baignoire ou autre etc., sans rapport aucun avec la situation ?
Julie Brochen s’auto-définit comme une grande connaisseuse de Tchékhov. Mais pas du
théâtre.

Jean-Pascal