La plus sainte des reliques

 

par  Anne-Marie OLIVE-PASSARET

 

     Premier janvier 1983 à Calcata, petit village à 40 km au nord de Rome.
     Stupeur ! En ce jour de la fête de la circoncision, on prépare, comme cela se fait depuis
l’année 1557, la procession de la plus sainte des reliques, conservée dans l’église du
village.
     Mais on constate la disparition du précieux objet, le saint prépuce à disparu.
     Les habitants pleurent leur santa carne vera, les journalistes mettent l’événement à la une
et on émet les hypothèses les plus folles : une secte satanique installée dans les grottes
voisines, ou peut-être le Vatican qui, dans ses caves voudrait se lancer dans des essais
de clonage.
    Bon. Ce n’est pas la première fois que la sainte relique est volée. Justement, on l’a
retrouvée à Calcata après le sac de Rome de 1527. Un lansquenet allemand l’avait
emportée, en fuyant les lieux et s’était réfugié à Calcata où il s’était caché dans les grottes
avec la sainte relique.
    Les habitants ne la retrouvèrent que trente ans plus tard, en 1557, date à laquelle un
pèlerinage est permis, qui vaut une indulgence à ceux qui l’entreprennent.
Auparavant, pendant des siècles, le saint prépuce avait reposé, tranquille, à Saint-Jean-
de-Latran. Charlemagne l’avait remis au pape Léon III le jour de son couronnement, le 25
décembre 800. L’empereur l’avait reçu lui-même de l’impératrice Irène, ou bien d’un ange.
Bien auparavant, l’Évangile arabe de l’enfance, apocryphe du 6e siècle, nous apprend
qu’après la circoncision de Jésus, son prépuce a été enterré, puis récupéré par une
femme et confié à Marie-Madeleine dans un coffret.
     C’est sans doute ainsi que l’Europe voit se multiplier les saints prépuces au Moyen Âge.
Plus de quarante, en Italie, en Espagne, et surtout en France où on en comptait pas moins
de treize.
     Au seizième siècle, quand la vénération atteint son apogée, les représentations picturales
pullulent. Le saint prépuce tient le centre des tableaux des plus grands peintres.
Mais, si nous le goûtons par la vue, Agnès Blannbekin, elle, l’a dégusté tout autrement.
Cette béguine autrichienne du treizième siècle, a confié son expérience à son confesseur
qui l’a consignée dans un manuscrit conservé au couvent de Zwettl : « Elle sentit sur sa
langue, avec la plus grande douceur, un petit morceau de peau qu’elle avala. Après l’avoir
avalé, elle le sentit de nouveau sur sa langue et l’avala. Ceci se reproduisit une centaine
de fois. Et la saveur de cette petite peau était si aimable qu’elle sentit une douce
transformation dans tous ses membres ».
     Au 17e siècle, le théologien grec Leo Allatius propose l’hypothèse : « le prépuce est monté
au ciel par ses propres moyens où il s’est transformé en anneau de Saturne ».
Au 18e siècle, la vénération bat encore son plein, ce qui fait dire à Voltaire : « n’est-il pas
évident qu’il est encore plus raisonnable d’adorer le saint nombril ou le saint prépuce que
de détester ou persécuter son frère ? »
     Au 21e siècle, l’avenir du saint prépuce ne semble plus préoccuper les esprits, mais
attention, si on veut encore vénérer la relique, il n’existe plus que deux refuges, tous deux
en France, à Vebret et à Conques.

 

 

 

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